A la tête du Groupe SEPTODONT, Olivier SCHILLER nous livre sa vision des enjeux d’un acteur industriel français opérant dans le monde entier

A la tête du Groupe SEPTODONT, Olivier SCHILLER nous livre sa vision des enjeux d’un acteur industriel français opérant dans le monde entier

 

 

Qui est SEPTODONT ?

Créée en 1932, Septodont est une entreprise familiale de troisième génération au capital 100 % familial, leader mondial sur le marché des produits destinés aux chirurgiens-dentistes – anesthésiques injectables, aiguilles, seringues, produits consommables.

Acteur mondial présent sur l’ensemble de la chaine – conception, production, commercialisation – SEPTODONT dispose de sites de production et de centres de R&D en France, aux États-Unis, au Canada, au Brésil et en Inde. Sur un chiffre d’affaires de 263 M€ en 2017, seulement 7 % sont réalisés en France alors que 40 % des actifs industriels et des effectifs (1800 au total) y sont localisés.

 

Que diriez-vous de l’environnement concurrentiel de SEPTODONT ?

Nous avons peu de concurrents mondiaux ; les très gros acteurs se sont désengagés du dentaire, un marché trop restreint pour eux. Cela laisse le champ à des firmes de la taille de SEPTODONT, et nous positionne face à des concurrents locaux dans les différents pays.

Les barrières à l’entrée sont fortes du fait des contraintes réglementaires et des bonnes pratiques de fabrication qui imposent une taille critique.

 

Quels sont les actifs qui font la légitimité de SEPTODONT sur ses marchés ?

Le leadership de marché donne un avantage à Septodont en matière de courbe d’apprentissage, et les volumes générés en tant que leader mondial permettent d’amortir les coûts de R&D sur une base mondiale.

Je citerais également l’excellence des produits et du service aux clients, ainsi que la dimension très internationale du groupe. Sur les huit membres du Comex, seulement quatre sont français ; c’est une vraie force.

Enfin, il est important de mentionner les spécificités et atouts d’une entreprise familiale : orientation long terme, absence de pression d’optimisation financière court terme, même si le recours à l’endettement contraint au respect des ratios financiers.

 

Quelles sont les mutations et risques de marché et comment y faites-vous face ?

Il y a une double mutation ; d’une part le renforcement de la relation directe avec le client et d’autre part, l’importance grandissante que prend le service associé aux produits vendus.

Nous avons déjà un CRM que nous utilisons de manière intensive. Et pour fournir un service global pour les clients dentistes, il y a besoin d’établir un lien direct, même si au milieu de la chaîne il y a le distributeur. Parmi les services proposés, citons par exemple les solutions globales pour faciliter la gestion des freins et craintes du patient qui l’empêchent d’aller chez le dentiste. Nous offrons également des formations aux groupements de dentistes visant à mieux apprendre à prendre en charge le patient pour gagner du temps en cabinet. Un des bénéfices est de déplacer le débat sur un autre terrain que le prix exclusivement.

Concernant les risques, c’est incontestablement la commoditisation. Pour s’en protéger, il y a l’innovation. Nous avons par exemple développé un produit qui annule les effets de l’anesthésie – un produit qui présente un intérêt pour certaines populations à risques. D’autres innovations sont également dans le pipeline.

Quels sont vos objectifs et perspectives moyen terme ?

Nous avons un objectif et une volonté de forte croissance car une entreprise ne peut pas rester stable ; soit on progresse, soit on est racheté.

Nous avons également, l’ambition de poursuivre notre double mission de santé publique : d’une part, continuer de participer à l’excellence de l’art dentaire, dès lors qu’une très forte corrélation a été démontrée entre une bonne hygiène bucco-dentaire et une bonne santé générale de la population ; et d’autre part, de proposer aux patients, aux Etats-Unis et pour le médical, des génériques de la meilleure qualité possible, à un coût plus bas.

Nous saisissons les opportunités qui nous sont accessibles en dehors du dentaire. Les génériques dans le domaine médical sont un exemple. Un de nos produits destiné au marché dentaire a été commercialisé pour le médical suite à des problèmes d’approvisionnement chez les fournisseurs en place. Etant seul sur ce marché qui s’est révélé lucratif, nous avons décidé de démultiplier ce savoir-faire pour l’adapter à la médecine générale. D’où la création d’un laboratoire de R&D dans l’Alabama destinés aux génériques.

 

De quoi dépendra le succès de SEPTODONT à moyen terme ?

D’abord de l’innovation. Il faut continuer d’innover sur les produits bien sûr, mais également sur les cellules souches. A partir des souches déjà utilisées dans d’autres domaines, nous développons de nouvelles applications dans le domaine dentaire.

Il nous faut aussi innover dans le service : développer de nouveaux services associés aux produits. Par exemple, pousser la formation à plus grande échelle en utilisant des systèmes de réalité virtuelle, de réalité augmentée pour former nos clients dentistes à utiliser au mieux nos produits.

Enfin, nous sommes une entreprise familiale, attachée à ses collaborateurs. Leur épanouissement sur des projets stimulants et leur engagement au quotidien fait la force de notre groupe.

 

Venons-en aux actifs industriels. Quel est l’enjeu majeur de SEPTODONT dans le domaine de la production et du suivi de production ?

C’est sans conteste la continuité de production. Parmi nos fournisseurs de matières premières, nous avons des gros et des plus petits. Comme homologuer un fournisseur coûte extrêmement cher, nous ne multiplions pas les sources, mais nous faisons régulièrement des analyses de risques sur la base de scénarios : si tel site de notre fournisseur est inopérant, pourrait-il nous fournir via un autre et à quelle hauteur de notre besoin, etc. On veille aussi tout particulièrement à la santé financière de nos fournisseurs stratégiques.

Il y a également la pharmacovigilance : nous sommes contraints de faire remonter immédiatement aux autorités de santé compétentes le moindre effet secondaire – en Europe c’est facile à faire mais ailleurs, c’est plus compliqué, or nous sommes tenus par cette obligation partout dans le monde.

 

Sur quoi êtes-vous le plus vigilant dans vos choix industriels ?

Ce qui nous tient le plus en alerte, c’est la compliance, car les exigences sont de plus en plus strictes. Tout en étant une barrière à l’entrée qui nous protège, c’est un contexte très exigeant. Quand nous choisissons des équipements, nous optons toujours pour ce qu’il y a de mieux sur le marché. La qualité du produit, les bonnes pratiques de fabrication sont un incontournable pour tous nos produits, quel que soit le marché géographique auquel ils sont destinés dans le monde. En termes de business, il faut que nous soyons en mesure de garantir la qualité des produits et des coûts maîtrisés.

 

Qu’en est-il de l’automatisation chez SEPTODONT ?

Nos sites de production sont largement automatisés. Nous avons des machines intégrées – les composants sont introduits à l’entrée du processus et tout se fait en continu jusqu’au contrôle qualité, sans intervention humaine, excepté la surveillance par les opérateurs du bon déroulé des opérations.

La dernière technologie de production introduite sert à l’automatisation du contrôle qualité. Auparavant, les cartouches étaient contrôlées manuellement par un opérateur qui appuyait sur un bouton chaque fois qu’il y avait une mauvaise cartouche, pour l’éjecter. Un travail pénible et insuffisamment fiable.

Maintenant, deux très grosses machines équipées de dix caméras et de systèmes informatiques d’une grande complexité font le travail en reproduisant le cerveau humain – l’enjeu est de ne pas laisser passer les mauvaises cartouches mais aussi de ne pas en éliminer qui soient bonnes.

 

Quels sont les bénéfices de l’automatisation ?

L’automatisation présente un double bénéfice. D’une part en termes de compliance pharmaceutique et d’autre part en termes de maîtrise de nos coûts. Elle nous permet de continuer à produire en France malgré les 45 % de charges versus 22 % en Allemagne. Nous sommes forcés d’automatiser pour rester compétitifs ; pas d’autre choix !

 

Sur quelles autres technologies SEPTODONT travaille ?

Malgré l’automatisation, nos systèmes restent hétérogènes, nous continuons de manipuler des masses de documents et avons encore beaucoup de contrôles manuels. Demain, il faudra passer de l’automatisation à la connectivité pour aller vers le ‘sans papier’ et limiter l’intervention humaine à la seule analyse des écarts. La connectivité, ce sont des machines entièrement connectées au sein d’un système global fonctionnant sur l’ensemble de la chaîne du laboratoire jusqu’au contrôle qualité.

Dans le domaine de la réalité augmentée, nous réfléchissons avec les fournisseurs d’équipements. Il y aura certainement des applications dans la maintenance prédictive, mais cela n’est pas pour tout de suite. La réalité virtuelle pourrait également nous être très utile pour la formation des clients, et pour l’engineering. Par exemple, au moment de la construction d’une nouvelle usine, elle permettra de visualiser virtuellement l’ensemble des flux très en amont du projet.

Nous développons également des objets connectés au Canada – c’est un petit boîtier qui se pose sur la jambe ayant un hématome suite à un choc ; en appuyant sur un bouton, l’utilisateur libère une aiguille qui injecte le produit et, comme l’objet est connecté, il prévient automatiquement les secours.

 

Et la data dans les métiers de SEPTODONT ?

C’est un vrai sujet. Dès à présent, nous emmagasinons chaque jour 10 millions de données, et avec la connectivité, nous allons générer une masse de données impressionnante en continu. L’utilisation intensive et intelligence de la donnée – le big data – pourrait avoir deux champs applicatifs : la conformité opérationnelle dans le flux de production et le ‘trend analysis’ pour détecter la non-conformité avant la survenue d’anomalies. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous nous y mettrons par petites touches, en mode ‘test & learn’.

 

Quels sont les impacts de la technologie sur les ressources humaines de SEPTODONT ?   

Les départs naturels en retraite liés à notre pyramide des âges nous permettent de gérer l’introduction des technologies sans difficulté. Dans les années à venir, nous aurons un besoin croissant de compétences, et la difficulté va être de les trouver. Le système éducatif ne met pas à la disposition des entreprises les compétences dont elles ont besoin. D’où l’importance de renforcer l’apprentissage, et les liens plus étroits tissés entre l’entreprise et le monde éducatif.

Les entreprises ont tellement de besoins en compétences numériques, or elles en manquent cruellement en France alors que des filières entières conduisent droit au chômage. La formation continue est également à revoir. Chez Septodont, nous démontrons tous les jours qu’il est possible de former une immense majorité des populations au numérique, encore faut-il le faire.

 

Avez-vous des difficultés de recrutement ?

Les métiers du numérique sont en tension mais également ceux du médical, du réglementaire, de la maintenance industrielle qu’il s’agisse d’opérateurs ou d’ingénieurs. Les jeunes désaffectent l’industrie perçue comme sale et bruyante. Il y a donc un effort important de développement de l’attractivité à faire – il faudrait qu’il y ait des liens plus étroits entre les lycées et le tissu industriel pour que les jeunes découvrent les métiers de l’industrie et les usines d’aujourd’hui.

 

Comment développer vous l’attractivité de SEPTODONT pour gagner la guerre des talents ?

Pour développer notre attractivité, nous ouvrons l’entreprise sur l’extérieur. Nous testons par exemple des partenariats initiés au niveau de la Région Ile-de-France avec des structures éducatives dédiées aux jeunes sortis du système éducatif. Nous avons aussi l’avantage d’être très international. Les opportunités créés pour nos collaborateurs partout dans le monde renforcent notre attractivité.

 

Que diriez-vous de l’ouverture de SEPTODONT sur l’extérieur ?

Nous avons de nombreuses collaborations dans le domaine de l’innovation, et cela depuis toujours. Nous sommes en Open Innovation avec des universités françaises et étrangères, également avec le CEA. Des étudiants sont suivis en classe par leur maître de thèse et travaillent sur nos projets de recherche appliquée.

Je suis au board de NYU University et de Tel-Aviv University. Nous faisons aussi partie des organismes du médicament, et avons dans ce cadre beaucoup d’échanges entre sociétés et avec les pouvoirs publics, pour anticiper les évolutions règlementaires ; également pour conseiller les pouvoirs publics sur ce qui devrait être fait en matière de santé publique.


Que pensez-vous d’initiatives telles que l’Industrie du Futur et la French Fab lancées par la France ?

Il est évidemment utile d’avoir des initiatives comme l’Industrie du Futur ou la French Fab, pour aider les entreprises à réfléchir et à améliorer leur maturité digitale, leurs relations clients et leurs processus internes. La French Fab, c’est stimulant pour créer une dynamique au niveau de la France, mais est-ce que cela va faire vendre plus de produits ? Et, pour que ces initiatives soient payantes, il faut déjà avoir créé les conditions basiques et les incontournables pour que l’industrie se maintienne en France. On a évoqué les charges sociales qui ont certes été réduites sur les bas salaires, mais c’est insuffisant quand on parle d’industrie du futur, d’innovation.

 

Quels sont vos conseils aux pouvoirs publics pour refonder une industrie française gagnante ?

(1) Créer les conditions permettant à l’industrie française de se maintenir et de se développer dans le pays : les taxes de production représentent 3,2% du PIB en France contre 1,8% en moyenne européenne.

(2) Réformer la formation (initiale et professionnelle) pour que les entreprises puissent trouver sur le territoire national les compétences dont elles ont besoin à l’ère du numérique.

(3) Développer une organisation claire de soutien public aux entreprises. L’offre est aujourd’hui pléthorique, peu lisible et mal connue. La loi NOTRe a multiplié le mille feuilles territorial et complexifié encore le dispositif.