Contribution sociétale et profitabilité : le ‘en même temps’ des entreprises à mission

L’entreprise à mission, un double objectif financier et sociétal

 

Longtemps écartelées entre résultat financier et éthique, les entreprises sont désormais condamnées à réussir profitabilité ET mission d’intérêt collectif. Une question de survie et un formidable avantage compétitif et d’attractivité pour les entreprises qui s’engagent dans cette voie.

 

L’entreprise à mission est fondée sur le principe de convergence sur le long terme des intérêts de toutes les parties prenantes, actionnaires, salariés, clients, fournisseurs, collectivité qui à court terme peuvent s’opposer. Citons Emmanuel Faber, CEO de Danone : ‘l’économie sans le social c’est la barbarie ; le social sans l’économie c’est de l’utopie’, et Bris Rocher, PDG du Groupe Rocher, premier groupe international à devenir Entreprise à Mission en France : ‘Je suis convaincu que la pérennité d’une entreprise se construit en conjuguant la performance économique et le bien commun’.

Ce modèle hybride du ‘en même temps’ porte donc la double exigence de la profitabilité et de la contribution sociétale.

 

Pourquoi contribution positive et performance financière sont-elles aussi indispensables l’une que l’autre ?

 

Trop souvent, profit et bien commun sont opposés et considérés comme exclusifs. Il n’en est pourtant rien ; les deux sont devenus aussi nécessaires que co-dépendants, dès lors que l’un permet et nourrit l’autre et réciproquement.

L’exigence de profit est fondée sur le principe économique qu’aucune entreprise ne peut être pérenne sans être profitable. C’est la condition pour investir, innover, progresser, se développer à la hauteur de ce qu’exige la défense des positions de marché ou leur conquête. Après avoir rétribué salariés et fournisseurs, investir et payer la prise de risque des actionnaires sont deux figures imposées, mais qui aujourd’hui ne sont plus suffisantes.

L’exigence de contribution positive est un mouvement de fond irréversible parce qu’il est en résonance avec les aspirations et exigences que posent aujourd’hui les parties prenantes internes et externes, -consommateurs, collaborateurs, clients, partenaires, citoyens-. Un mouvement que la pandémie n’a fait qu’accélérer, en mettant en débat la mondialisation, le capitalisme et la consommation. La Société exige désormais davantage de l’entreprise et attend d’elle qu’elle ‘prenne sa part’.

Elle ne pourra plus se contenter de neutraliser les impacts négatifs de ses opérations par des actions périphériques, mais devra apporter une contribution sociétale positive à travers l’exercice même de son métier.

Tôt ou tard, toute entreprise ayant l’ambition de durer sera condamnée à concilier profit et mission.

 

La profitabilité au service de la contribution sociétale

Devenir entreprise à mission ne se limite pas à une communication bien faite. Cela passe par la transformation du modèle d’entreprise, en faisant de la recherche d’un impact positif à travers l’exercice même de son métier un levier essentiel de performance.

Comme toute transformation lourde et longue, elle coûte avant de rapporter à moyen long terme si les options prises s’avèrent être les bonnes. L’entreprise se doit donc d’être structurellement profitable pour dégager le cash nécessaire pour s’autofinancer et/ou accéder à des liquidités externes – prêts, capital -, nécessaires pour mener à bien ces investissements.

Elle doit donc être en capacité de gagner la confiance des créanciers et attirer des actionnaires et investisseurs prêts à parier sur la performance future de la société, condition pour se rétribuer. Dit autrement, sans profitabilité pas de moyens, et sans moyens, pas d’entreprise à mission.

 

La contribution sociétale au service de la profitabilité

Si devenir entreprise à mission commence par coûter, intégrer la mission au cœur de la stratégie est pourtant une formidable opportunité économique. La contribution sociale et environnementale agit comme un levier de performance financière.

Malgré le manque de recul sur la performance des entreprises à mission, des études dont celles de Eccles, Ioannou et Serafeim mentionnées dans l’article ‘The impact of corporate sustainability on organizational processes and performance’ montrent que les entreprises qui s’en rapprochent le plus surperforment celles pas ou peu engagées dans cette voie, à condition d’avoir un actionnariat stable et patient qui donne le temps à la stratégie de porter leurs fruits à moyen et long terme.

 

Comment la contribution sociétale sert-elle les intérêts économiques ?

S’engager dans l’économie à impact positif est un levier à spectre large qui explique la surperformance tendancielle de ces entreprises.

 

La mission, source d’avantage concurrentiel sur les marchés

La fixation d’un objectif de long terme plaçant la responsabilité sociale et environnementale au cœur du modèle projette l’entreprise dans une dynamique à la fois d’innovation – donc de régénération stratégique- et d’alignement profond avec les tendances lourdes générées par les mutations sociétales à l’œuvre. Cet objectif de long terme fait contre-poids à la pression court termiste, financière et opérationnelle.

Cœur de la vision et guide de l’action stratégique, la mission est ce qui permet à l’entreprise de répondre aux enjeux de demain, générant ainsi une supériorité de marché dans le jeu concurrentiel.  En effet, ce virage existentiel et stratégique est la condition d’attractivité et de fidélisation supérieures des clients, comparées aux concurrents.

L’avantage compétitif repose d’abord sur la différenciation et la performance de l’offre au sens très large, la résultante étant des produits et services préférés et davantage valorisés par les clients prêts à les payer plus chers que ceux des concurrents, le premium prix se situant entre 2 et 6 %.

 

Il y a également le potentiel de croissance additionnelle que l’entreprise peut capter par l’extension du périmètre de marchés visés. S’intéresser à des marchés encore vierges ou délaissés – par exemple les marchés de la base de pyramide-, représente un potentiel supplémentaire à exploiter, source de développement de l’entreprise.

Citons Essilor qui s’est très tôt intéressé aux populations à très bas revenus. Le projet Base de la Pyramide lancé en Inde en 2008 repose sur une offre combinée de services et de produits à la portée d’une clientèle réputée insolvable. Il a permis à Essilor d’accéder à des dizaines de millions de personnes malvoyantes qui n’avaient pas accès au diagnostic et aux lunettes correctrices, afin de leur permettre d’améliorer leur vue à un coût qui leur est accessible. Il ne s’agit pas d’un projet caritatif mais bien d’une offre fondée sur un modèle d’affaires structuré et organisé pour être économiquement viable, malgré les prix extrêmement bas couvrant les frais de distribution et de production. Grâce à ce type d’offres inclusives, les entreprises élargissent leur base de marché et de clientèle et accroissent leur potentiel de croissance loin de la concurrence.

 

La mission, facteur d’efficience organisationnelle et de compétitivité

Tout d’abord par l’efficience organisationnelle et l’attractivité renforcée auprès des talents, que génèrent l’existence même d’une mission.

La mise en intelligence et l’alignement de l’organisation toute entière sur la mission favorisent la fluidité et l’agilité organisationnelle, tout comme une prise de décisions opérationnelle plus rapide et au plus près du terrain, donc plus efficiente.

L’ancrage dans la société donne aussi du sens à l’action des équipes, et force à davantage d’attention et de bienveillance vis-à-vis des collaborateurs, ce qui autorise leur expression plus libre et créative.

L’ensemble de ces facteurs diminuent l’absentéisme, accroit le sens de la responsabilité, de l’autonomie et de l’engagement ainsi que la motivation des équipes au service de l’entreprise, de ses clients et de ses parties prenantes. Turnover plus faible par une fidélité renforcée des salariés, capacité supérieure d’attirer les meilleures compétences par une marque employeur nourrie d’une crédibilité sociétale, autant de facteurs pour gagner une guerre des talents sans cesse accrue, arme concurrentielle du XXIème siècle.

 

La réduction des coûts est un second facteur de compétitivité. Qu’ils s’agissent des coûts opérationnels par la diminution de la consommation d’énergie et la réduction des déchets ou d’autres types de coûts comme par exemple les coûts financiers comme c’est le cas pour Danone. Ayant engagé une démarche de certification ‘B Corp’ bien avant la loi Pacte, Danone a inclus à cette occasion des critères environnementaux et sociaux dans la ligne de crédit syndiquée de deux milliards d’euros avec, à la clé, des taux d’intérêt d’autant plus favorables que le pourcentage du chiffre d’affaires couvert par ces certifications « B Corp » augmente.

 

Pour conclure,

citons Pascal Démurger DG de la MAÏF qui parle de ‘cercle vertueux’. S’engager pour ses parties prenantes et pour le bien commun est source de performance pour l’entreprise, donc de profit permettant ainsi un engagement sociétal encore plus important de la part de l’entreprise.

Faire le choix de l’entreprise à mission, c’est donc pouvoir compter sur le double levier du profit et du bien commun qui se nourrissent mutuellement.